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Critiques, portraits, interviews du monde de la Culture.

Amélie Nothomb : Succès et Tremblements

Amélie Nothomb, de retour au Japon pour le documentaire de Laureline Amanieux "Une Vie entre deux eaux"
Amélie Nothomb, de retour au Japon pour le documentaire de Laureline Amanieux "Une Vie entre deux eaux"
Amélie Nothomb publie un nouveau roman. Tous les romans d'Amélie Nothomb sont des bestseller. Donc le prochain livre d'Amélie Nothomb sera un bestseller. C'est ainsi que le syllogisme se répète à chaque nouvelle rentrée littéraire depuis vingt-quatre ans. Pourtant, la plus japonaise de tous les écrivains belges ne se résume pas à ses succès. Non, Amélie Nothomb, c'est d'abord un personnage, plus complexe qu'il n'y paraît.

Côté pile, celui des apparences, elle est la gothique aux grands chapeaux, qui adore le bon champagne, les champignons hallucinogènes et le Japon. Mais côté face, elle est celle qui a tissée, depuis Hygiène de l'assassin, son premier roman, un lien indéfectible avec ses lecteurs. Certains sont même devenus des amis, avec qui elle entretient une correspondance épistolaire, bien au-delà de la sphère littéraire. Les détracteurs d'Amélie Nothomb pourraient donc résumer son succès par la fidélité de ce grand lectorat, qui achèterait son roman plus par sympathie pour l'écrivain que par gage de qualité. L'auteur serait ainsi la prêtresse d'une secte littéraire, envoûtant les foules pour vendre des milliers d'exemplaires, dixit certains critiques.

Avec la régularité d'un métronome, ces-derniers entachent chaque nouveau cru sous prétexte d'un fait : popularité et qualité littéraire ne coïncideraient pas. D'ailleurs, ils rappellent un débat transgénérationnel, que soulève Malcom Lowry dans l'avant-propos d'Au dessous du Volcan de Maurice Nadeau. Selon lui, un grand roman est un ouvrage qui, par nature, aurait du mal à se vendre, alors qu'à l'inverse, un bestseller serait forcément de qualité inférieure. Position assez tranchée, lorsque l'on pense aux Hauts de Hurle-Vent d'Emily Brontë, La Dame aux Camélias de Dumas Fils ou Pour qui sonne le glas d'Hemingway, tous, des succès de leur époque et qualifiés aujourd'hui de chefs d'oeuvre.

Au regard de ce constat, la thèse que défend Carlos Luis Zafon dans son roman Le Jeu de l'ange, correspondrait davantage à notre propos. Selon le personnage principal, sorte de réécriture du mythe de Faust, le succès serait obligatoirement gage de qualité. Mais, si cette conception contraste avec celle de Malcom Lowry, elle n'en demeure pas plus crédible. En effet, si depuis des années, les romans de Marc Levy ou Guillaume Musso se vendent à des millions d'exemplaires et sont traduits en plusieurs langues, les professionnels de la littérature, eux, boudent ces auteurs de « roman de gare ». Ces thèses antithétiques prouvent donc que les extrêmes, n'ont jamais raison.

Amélie Nothomb pourrait ainsi être un compromis entre ces deux idées, sorte « d'écrivain du milieu ». A ceux qui l'inscrivent dans la lignée des Musso-Levy, il faut rappeler que l'auteur belge a tout de même reçu de prestigieuses récompenses dont Le Prix de Flore pour Ni d'Eve ni d'Adam et le Grand Prix de l'Académie Française pour Stupeur et Tremblements, bestseller de 1999 qui élargira encore davantage son public. Cette autobiographie a même bénéficié d'une adaptation cinématographique par le grand et regretté Alain Corneau, qui vaudra même à Sylvie Testud le César de la Meilleure Actrice.

Adoubés par le public et le monde de la littérature, ses bestsellers devraient donc être indubitablement gage de mérite. Pour autant, le défaut qu'on lui reproche indirectement dans les médias n'est pas tant sa littérature que sa popularité. Mais malheureusement, la frontière entre ces deux éléments est souvent très poreuse. Ainsi, malgré toute notre précédente démonstration, nous revenons à cette discussion infinie : succès et écriture ne feraient pas bon ménage. Dans le cas Nothomb, il faudrait revenir aux origines pour tenter d'esquisser une théorie.

1992. Amélie Nothomb, 25 ans, visage encore poupin, apparaît pour la première fois à la télévision dans l'émission de Michel Field « Le Cercle de Minuit ». Timide, cheveux tirés en arrière—bien loin de l'idée que l'on a d'elle aujourd’hui —elle parle d'Hygiène de l'Assassin, qui lui vaudra un succès unanime auprès de la presse spécialisée. À partir de là, l'écrivain belge publiera chaque année un nouveau roman, des Catilinaires à Antéchrista en passant par Acide Sulfurique, des succès d'estime publiques et médiatiques qui lui garantiront une petite notoriété. Puis, vint l'ouragan Stupeur et Tremblements, son bestseller, qui donnera naissance au personnage Amélie Nothomb. C'est ainsi que, post- Stupeur et Tremblements, la presse élitiste, voyant comme un outrage la popularisation de l'écrivain, décidera de lui tourner le dos. Si les critiques de la presse généraliste continuent à encenser son talent, une certaine catégorie—ne prenant même plus le temps de lire ses productions annuelles— ne parle plus d'elle que comme « un personnage médiatique plus qu'auteur talentueuse1 »

Ainsi, nous pourrions poser cette question véritable : si Amélie Nothomb, vingt ans de succès, avait publié Hygiène de l'Assassin en 2015, aurait-il été aussi plébiscité qu'en 1992, par ce type de presse ? Celle-ci n'aurait-elle pas été influencée dans son opinion, compte tenu de la popularité de l'écrivain et du fait qu'il aurait forcément été annoncé comme un bestseller ? Nous ne répondrons pas à la question, même si nous en avons une vague idée.

Succès et qualité littéraire auraient donc aussi peu en commun que John Cassavetes et Danny Boon. Ce n'est pas parce qu'un livre est un bestseller qu'il en a moins de mérite. À l'inverse, un roman qui ne marche pas n'est pas obligatoirement un chef d'oeuvre incompris. Concernant Amélie Nothomb, ce n'est pas parce que chacun de ses romans a 90 % de chances de devenir un bestseller que cela découle forcément sur l'insignifiance de sa littérature. Cette pensée serait même un outrage pour son public, qui serait alors considéré comme de « mauvais lecteurs ». En réalité, il n'y a pas de bons ou mauvais lecteurs. Il n'y a que des visions subjectives. Le succès résulterait alors d'un heureux hasard : celui d'une multitude d'opinions qui convergeraient dans le même sens.

Récemment, un critique a qualifié son dernier roman, Le Crime du Comte Neville, d'aussi mauvais que le dernier Woody Allen [ ndlr, L'Homme Irrationnel ]. A cela, Amélie Nothomb devrait se montrer ravie d'être aussi médiocre que Woody Allen... ce grand réalisateur du cinéma américain.

1. Luigi Lattuca « Amélie Nothomb sort Le Crime du Comte Neville : un livre indigeste qui transpire le déjà-vu », Le Plus du Nouvel Obs, publié le 18 août 2015.

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