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All About Art

Critiques, portraits, interviews du monde de la Culture.

Sunset Boulevard de Billy Wilder (1950) : Naissance d'un archétype

Gloria Swanson dans Sunset Boulevard
Gloria Swanson dans Sunset Boulevard

Lorsque Boulevard du Crépuscule (Sunset Boulevard) sort sur les écrans américains le 10 août 1950, Billy Wilder possède déjà une certaine réputation à Hollywood. Juif autrichien, il s'exile dans les années 1930 aux États-Unis pour fuir le régime nazi. Entre 1934 et 1948, il tourne pas moins de huit films à Hollywood, dont les célèbres Assurance sur la Mort (Double Indemnity, 1944) et La Scandaleuse de Berlin (A Foreign Affair, 1948). Le cinéaste s'exerce alors au film noir et au drame, qui seront une composante forte de Sunset Boulevard. Mais ce sont sans doute ses origines européennes mêlées à son continent d'adoption qui inspirent le plus l'écriture du scénario. Un film qui mélange les genres, détourne les structures narratives et surtout, donne naissance à un archétype : celui de l'actrice vieillissante.

Boulevard du Crépuscule s'ouvre a priori de manière classique : le titre du film sur la chaussée, suivi d'un long travelling sur la route, le tout accompagnés par une musique signée Franz Waxman, rappelant indubitablement le polar. La voix-off, qui intervient peu de temps après, s'inscrit de surcroît dans les topoï du genre. Mais, alors que le spectateur se croirait conforter dans ses habitudes cinématographiques, Billy Wilder bouscule subitement les codes : le narrateur, Joe Gillis, est mort, flottant dans la piscine d'une ancienne star, Norma Desmond. En révélant d'emblée, la fin du film, le cinéaste indique sa volonté de ne pas jouer sur le suspense. Ainsi, le public connaît, durant les cinq premières minutes, la victime, le coupable et le lieu de la mort. Le génie de Billy Wilder réside alors dans sa faculté à captiver le spectateur durant le flashback qui composera le film, alors même que tous les éléments lui sont offerts dès le début. Pourtant, une donnée manquante suffit à attiser le désir du public : celui de la découverte de la star féminine.

Dès les années 1930, la figure de l'actrice est érigée au rang d'icône et devient un modèle pour la société. Son apparition à l'écran est alors retardée et magnifiée ( l'exemple le plus probant étant celui de Rita Hayworth dans Gilda de Charles Vidor, 1946). Toutefois, quand bien même Gloria Swanson—incarnant Norma Desmond— arrive au bout de quinze minutes de film, Billy Wilder contourne une nouvelle fois les structures. En effet, au moment du tournage, l'actrice ne possède (plus) les caractéristiques propres à ses consœurs. Star du cinéma muet, elle est désormais âgée de 51 ans en 1950 et est censée être tombée en désuétude aux yeux du public. Censée, seulement. En réalité, si sa présence cinématographique est plus que sporadique post cinéma muet, ses apparitions médiatiques, elles, sont très nombreuses. Gloria Swanson est donc célèbre auprès d'une culture de masse, étant même l'une des premières stars à ressentir les potentialités de la télévision.

Par conséquent, le public de Boulevard du Crépuscule ne peut que percevoir la différence entre star et personnage ainsi que la dérision qui en découle. Norma Desmond, icône du muet déchue et vieillissante, ne serait alors pas un alter-ego de Gloria Swanson, mais un avatar, c'est à dire, une version transformée de celle-ci. Si la scène finale pourrait donc sembler mélodramatique, ce n'est qu'un leurre.

Après le meurtre de Joe Gillis, Norma Desmond sombre définitivement dans la folie. Descendant les escaliers, entourées de journalistes présents pour la criminelle qu'elle est, l'actrice se persuade qu'elle tourne de nouveau un long-métrage, Salomé. Star déchue ? Pas tout à fait. La voix-off du narrateur, présente tout au long du film pour créer une complicité avec le public, s'éclipse au profit du discours de Norma Desmond. Finalement, même si Norma Desmond et Gloria Swanson représentent le muet, c'est en prenant la parole à la fin qu'elles affirment la puissance du parlant. Si actrice et personnage sont vieillissants, la dernière image prouve que Norma/Gloria est devenue la véritable héroïne. Les personnages « modernes », comme les journalistes, sont alors devenus des figures de cire, terme que Joe utilise plus tôt dans le film pour qualifier la star. Au contraire, c'est elle qui est désormais le centre de l'attraction. Norma/Gloria représenterait alors, malgré son âge mûr et une fausse déchéance, un cinéma capable de se renouveler en permanence.

Boulevard du Crépuscule amorcera d'ailleurs un courant de « aging star films » (littéralement « film sur les actrices vieillissantes »), comme Eve de Joseph Mankiewicz, The Star de Stuart Heisler, Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich, et plus tard Opening Night de John Cassavetes. En construisant un archétype transgénérationnel, le film de Billy Wilder prouve donc que sous couvert de dévoiler les failles de Hollywood, il ne fait en réalité que justifier sa grandeur.

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